Le parc national de Komodo, pour le meilleur et pour le pire

Les iles de Padar et Rinca possédaient le titre de réserve naturelle dès les années 1930. L'ile de Komodo les a rejoint en 1965. Le parc national est créé en 1980 pour protéger le dragon (Varanus komodoensis), et la "protection" étendue en 1984 à une vaste zone marine entourant les iles, ainsi qu'à une partie de la côte ouest de Flores.

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Lors de son établissement en réserve naturelle en 1938, Padar, inhabitée des humains abritait Cerf rusa et Dragon de Komodo. Le braconnage a conduit à la raréfaction des cerfs; les dragons ont disparu ensuite (vers 1970) par manque de nourriture (subsisteraient 6 dragons en 2019). Si le paysage depuis l'un des points de vue est subjuguant au lever du soleil, la construction d'une jetée facilitant le débarquement des gros bateaux de croisière venus de Bali et le bétonnage du sentier sous forme d'un escalier, sont des innovations récentes (postérieures à cette photographie de 2016) qui n'amélioreront sans doute pas l'expérience des visiteurs. © Michel Racine


En 1991 le parc est inscrit sur la liste de l'UNESCO du patrimoine mondial. 4 ans plus tard, le parc est pris sous l'aile d'une organisation environnementale américaine sans but lucratif, The Nature Conservancy (en.wikipedia.org). Ses interventions ont été discutées par des organisations locales, frustrées de ne pas avoir eté consultées, par des communautés de pêcheurs extérieures au parc et par les habitants du parc eux-mêmes. En 2005, TNC donnait naissance à une autre organisation sans but lucratif Putri Naga Komodo's, mais dont le permis de gestion a été retiré 5 ans plus tard laissant les iles en partie sans protection.

C'est à cette époque que se sont multipliées des actions illégales de pêche faisant souvent appel à des méthodes très destructives comme la pêche à l'explosif. Une soixantaine de pêcheurs sont arrêtés. En 2014 deux contrebandiers qui chassaient des cerfs sont tués par la police spéciale lors d'un échange de tirs.

La crise économique de 1997-1998 suivie par les attentats de Bali et Jakarta ont occasionné une chute importante de la fréquentation du parc: 30 000 visiteurs en 1997, 12 000 en 2001 (tempo.co, Jakarta, ). La fréquentation remonte ensuite: 45 000 en 2010 (en.wikipedia.org), pour exploser dans les années récentes: 176 000 en 2018; cette augmentation astronomique implique même l'escale de gros bateaux de croisières (BBC World, 2019).

Rebecca Henscheke and Callistasia Wijaya, The fight for Dragon Island, BBC World, 25 Juillet 2019.

Le bénéfice que les visiteurs peuvent tirer d'une visite à Komodo varie évidement à l'inverse de la fréquentation. A la fin des années 1990, l'accès au parc se faisait à Lio Liang pour Komodo et la taxe d'entrée de 20 000 Rp était valable 7 jours, donnant aussi le droit de visiter Rinca à partir de Lio Buaya; les guides étaient loin d'être débordés et appréciaient le séjour des visiteurs dans les deux camps de Lio liang et Lio Buaya (bungalows en bois, confortables) gérés par le Directorate General for Forest Protection and Natural Conservation (PHPA); les guides vous accompagnaient facilement dans des randonnées de plusieurs heures comme l'ascension du Gunung Ara (Lonely Planet 6th edition). En 2015, la taxe est passée à 225 000 Rp et surtout ne donne droit qu'à une seule journée. Le ferry reliant Sape à Labuanbajo ne s'arrête plus à Komodo depuis les années 2000 (ce qui arrange bien tous les propriétaires de bateaux de Labuanbajo aménagés pour organiser de minicroisières dans les iles). Dommage collatéral, les touristes étant hébergés sur leur bateau, les camps du PHPA ne sont plus utilisés que par les guides du parc. Les guides étant en nombre insuffisant en haute saison il est difficile de les sollliciter pour un circuit autre que le "circuit court", limité à 30 min (cela fait très cher la taxe d'entrée).

La population vivant sur le parc compte environ 4 000 habitants répartis sur 4 villages et 3 iles (Komodo, Rinca et Papagaran) (le village de Mesa se trouve en dehors du parc). Komodo, le plus gros des villages a vu sa population passer de 30 en 1928 à 1 508 en 2010, principalement à cause d'une immigration qui s'est accentuée dans les années récentes. Les ressources locales sont pourtant très limitées et l'eau est très rare en saison sèche (en.wikipedia.org). La population locale ne tire quasiment aucun revenu de l'existence du parc, mis à par la vente aux touristes de dragons en bois scupté et la présence d'un homestay à Komodo qui semble peu actif. Même avec une taxe d'entrée bien plus faible que celle acquitée par les étrangers, le parc n'est guère visité par les indonésiens, l'accès en bateau de croisière grand ou petit constituant pour eux un coût trop important.

En juillet 2019, à la suite d'une tentative de braconnage (capture d'une quarantaine de jeunes dragons en vue de les vendre à l'étranger), les autorités locales ont annoncé la fermeture au public de l'ile de Komodo en janvier 2020 pour une durée d'au moins un an (The Jakarta Post, 2019). En novembre 2019, cette décision était annulée, mais Viktor Bungtilu Laiskodat, gouverneur d'East Nusa Tenggara proposait un accès limité aux très riches membres d'un club élitiste dont la cotisation annuelle serait de 1000 USD par an (The Jakarta Post, 20 novembre 2019). Cette démarche hypocrite confirme la gestion cahotique de cet archipel, et témoigne du fait que les préoccupations financières prévalent sur les préoccupations écologiques: les touristes ordinaires se "contenteraient" de l'ile de Rinca, déjà cible principale du business lucratif des mini-croisières proposées depuis Labuanbajo; le projet de déplacer les habitants (un projet ancien, mais jamais mis en oeuvre) serait abandonné, mais on ne voit plus bien quelle serait la place du village de Komodo dans ce modèle économique.

L'épidémie Covid19 a temporairement réglé le problème de la surfréquentation dans la mesure ou l'entrée et le transit des étrangers sont interdits depuis mars 2020 sur tout le territoire indonésien (à l'exception des personnes possédant un permis de résident, des diplomates, etc.). Fin avril de fortes restrictions des déplacements intérieurs (suspension de liaisons aériennes et maritimes, interdiction de liaisons terrestres) étaient instaurées jusqu'à nouvel ordre. Même si le nombre de morts comptabilisés officiellement en Indonésie est encore limité, l'épidémie est sur une dynamique croissante, et la plupart des grandes villes indonésiennes à commencer par Jakarta sont soumises à un confinement strict (ambassade de France à Jakarta, mai 2020). La haute saison à Komodo se concentrant sur les mois de juillet et août, il est fort à parier que les dragons seront tranquilles l'été prochain, à condition que les braconniers ne s'en mêlent pas.

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Enfants dessinant des dragons; marché aux poissons de Labuanbajo, Flores. © Michel Racine.


Il existe en Indonésie une cinquantaine de parcs nationaux, représentant en fait peu de chose dans un pays comptant 17 000 iles. Les surfaces respectives et les modes de fonctionnement sont très hétérogènes, les parcs les plus petits étant des sommets volcaniques, les plus grands des zones de forêt tropicale. Le parc de Komodo est loin d'être le seul menacé par le développement d'une "économie humaine tentaculaire": trois des parcs nationaux de Sumatra sont mis en danger par la construction de routes, l'installation illégale de planteurs de café (plus de 100 000 !), la déforestation (theconversation.com, 2004). Pour nombre d'officiels indonésiens, la qualification de parc national, reste malheureusement synonyme de développement massif du tourisme et de prétexte pour percevoir une taxe souvent confisquée aux habitants et autorités locales.