La personnalité unique du dernier village d'Indonésie à pêcher au harpon à main

Lamalera, un village isolé de la province de Nusa Tengdara Timur en Indonésie est un des derniers villages au monde à toujours pratiquer la chasse artisanale à la Baleine

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Retour de chasse
© Michel Racine


Prenez une côte inhospitalière, sans mouillage sûr, ouverte sur la mer de Sawu, abandonnez quasiment toute agriculture sur un rivage escarpé. C'est ce tableau peu attirant qui a longtemps assuré la tranquilité du village de Lamalera, un des rares villages côtiers dans des iles où les habitants fuyaient les pirates en s'installant dans les hauteurs. Sa population est pourtant restée pendant longtemps la plus importante de la petite ile de Lembata; ce n'est que depuis les années 1950 qu'elle a été dépassée par celle de Lewoleba, moins isolée.

Le seul atout du village est d'être situé sur les routes de migrations des grands mammifères marins et sa survie n'a été permise que par le développement d'une coutume basée sur la partage et la solidarité.

Les bateaux traditionnels (pelabang) sont sacrés; ils sont possédés par des corporations héréditaires et propulsés chacun par une dizaine de rameurs. En absence de port les bateaux sont tirés à sec sur des rondins de bois; leurs abris (najeng) s'alignent en arc de cercle dans le haut de la page; l'architecture est traditionnelle, le toit végétal; autre signe du sacré, une minuscule chapelle se place au milieu de l'arc de cercle. Il faut s'assoir sur le sable sombre, les narines pleines de l'odeur forte de la viande séchant au soleil pour prendre la mesure de la personnalité de ce village unique au monde.

La pratique de la chasse à la baleine est antérieure à l'arrivée des portuguais (17e siècle). En saison (de mai à octobre) les bateaux peuvent sortir tous les jours (sauf le dimanche); hors saison, ils ne sortent que si une baleine est repérée devant le village. La proie la plus grosse et la plus emblématique est le Cachalot (Sperm whale), mais tous les mammifères marins peuvent y passer, à l'exception de la Baleine bleue, taboue. Faute de Mammifères, les marins harponnent aussi des requins ou (dans le passé) des Raies manta.

Le harponneur se tient sur une petite plateforme à l'avant du bateau et le harpon fixé sur une longue perche de bambou. La chasse est aléatoire: de longues heures de guet, un lancer de harpon qui n'atteint pas souvent la proie, puis la corde qui se déroule à toute vitesse quand la proie plonge. Il faut attendre la fatigue de l'animal blessé avant de pouvoir l'achever, de le monter à bord ou de l'attacher aux flancs du bateau selon sa taille.

Une fois à terre, l'animal est découpé et la viande partagée entre les membres du clan possédant le bateau. Séchée au soleil, la moitié sera consommée dans le village et l'autre moitié exportée. Rien n'est perdu et l'huile qui a longtemps servi pour l'éclairage en absence d'électricité est aujourd'hui vendue pour la pharmacie.

Le samedi, au marché de troc du village agricole voisin, Wulandoni, la viande de Baleine est échangée contre des bananes, du riz, du mais, des ignames, du manioc, etc. Les habitants cultivent aussi un peu de grain et les restes de nourriture alimentent de cochons enfermés dans de petits enclos.

Depuis l'arrivée des missionaires au 19e siècle, une religion syncrétique s'est développée mélant le catholiscisme à des croyances animistes. La chasse et la religion sont étroitement mélées.

La coutume qui a permis au village de survivre jusqu'à présent se heurte à deux changement majeurs: l'irruption de la "modernité" et la nécessité de gérer les ressources naturelles.

L'entrée de Lamalera dans l'économie mondialisée est récente et date du 21e siècle. La route arrive en 2000 et les services de bus journaliers remplacent le bateau hebdomadaire depuis Lewoleba; des moteurs hors-bord sont montés sur les pelabang permettant une réduction considérable des équipages et une plus grande efficacité de la chasse; l'électricité arrive en 2005 et les téléphones portables en 2006. La pêche au filet se développe avec des revenus qui échappent à la coutume. Quelques modestes pensions s'ouvrent aux touristes et si une "démonstration" de chasse est proposée aux groupes pour une somme exorbitante, les chasseurs prennent facilement dans leurs bateau quelques passagers à la journée pour une somme plus raisonnable, une expérience moins artificielle et incontournable si vos efforts vous ont menés jusqu'à ce village perdu. Les villageoises tissent aussi de très beaux ikats portés lors des cérémonies, vendus rarement aux touristes et plus souvent à des marchands venus de Bali.

La gestion des ressources naturelles est une autre affaire. Le moratoire sur la chasse commerciale voté en 1985 par la commission baleinière internationale (dont l'Indonésie ne fait pas partie) ne concerne pas la chasse artisanale telle qu'elle est (ou était?) pratiquée à Lamalera. Mais en instituant en 2009 une réserve maritime en mer de Sawu, l'assemblée régionale de Nusa Tengarra Timur a souhaité négocier avec les habitants de Lamalera la mise en place d'une gestion durable des ressources marines. Elle s'est heurtée au refus des habitants, tandis que l'évolution des modes de chasse (motorisation) et de pêche (commercialisation des branchies de Raie manta) font disparaitre le caractère artisanal. Le Cachalot est considéré comme une espèce vulnérable et ses captures à Lamalera sont très irrégulières (de cinq à plus d'une cinquantaine par an). Quand à la Raie manta, le développement incontrolé de sa pêche par le village voisin de Lamakera (sur l'ile de Solor) a conduit a une diminution drastique des populations de ce poisson géant et à la ruine de Lamakera.

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Ikat de Lamalera, représentation figurative de chasse à la baleine
© Creative commons (Attribution: Michel Racine, pas d'utilisation commerciale)


Ces incertitudes ne doivent pas empêcher les voyageurs curieux et adeptes des destinations originales de venir ici. Cerise sur le gâteau, entre volcan "fumant" (le Lewotolo), plages désertes bordées de cocotiers, récifs coralliens, tissage d'ikat et marchés, l'ile de Lembata possède un fabuleux potentiel quasiment inexploité et ouvert aux explorateurs.


Pour en savoir plus sur Lamalera et préparer votre voyage:
A la rencontre des derniers chasseurs de Baleine d'Indonésie.

Lamalera face au 21e siècle:
A Whaling Way of Life Under Threat. Jon Emont, 3 août 2017, The New York Times.